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Baptême du feu

10-11-2016 14:39

Olivier Forney

Huskies 2016-2017,

Baptême du feu

Je me rends compte que je commence à suffoquer. Les -13°C de ce matin, m’ont imposé une cagoule et un masque de ski qui m’empêchent d’inhaler suffisamment...

Il y a deux jours, Danny, un musher résidant à Drevdagen, m’a demandé de l’aider afin de finaliser l’ouverture d’une piste d’entraînement. Le futur parcours traverse différentes zones marécageuses et le traçage à l’aide d’une motoneige peut se révéler dangereux s’il est effectué en solo. A la suite de ce travail, Aline et moi allons tester le parcours ; huit chiens, un traîneau et nous. La boucle s’effectue sans problème, mais avec une vitesse un peu faible à notre goût. Huit chiens dans une neige mal tassée et deux handleurs, on s’approche plus de l’expédition que de la course de compétition.

 

Le jour suivant, il neige à gros flocons. Nous en profitons pour offrir un peu de repos à nos athlètes. Quarante-huit heures après son ouverture, nous nous élançons sur la piste d’une longueur légèrement supérieure à la distance qui sépare Vevey de Lausanne. Afin d’optimiser les conditions de course, nous laissons volontairement quelques kilomètres entre nos deux traîneaux, ceci afin d’éviter la déconcentration des chiens qu’engendre une course en duo. Aline me cède volontiers la première place qui demande l’ouverture de la piste, recouverte d’une épaisse couche de poudreuse. Je m’élance donc avec Bil, Sid, Fax, Fast, Zlatan, Elvis, Boule et Ralph, des huskys sibériens et pas des moindres. Le début de la piste fait partie de la routine. Un grand bout droit bien connu de notre attelage. En effet, nous l’avons parcouru maintes fois durant les entraînements de cet automne. Puis la première difficulté s’annonce. Habituellement, au bout de cette grande droite, nous effectuons un tourné sur route. Aujourd’hui, il faudra prendre à gauche. Autant dire que la manœuvre est délicate. Un attelage de huit chiens qui ne veut pas s’arrêter ne s’arrête pas ! La chance étant allée chercher le soleil, je me retrouve avec un sol qui ne me permet pas de planter mon ancre, la couche de neige étant trop fine à cet endroit. Il me faut donc faire confiance, annoncer la direction, ralentir dans le but d’informer l’attelage de l’arrivée d’un point délicat et… y croire. Petite parenthèse : un jour, une de mes élèves me demande comment je fais pour scier une pièce de bois aussi rapidement et avec tant de précision. Je lui réponds que pour commencer j’y crois… et je conclus en lui disant que cela fait aussi dix ans que je scie du bois ! Bref, le virage s’effectue d’une manière qui dépasse toutes mes attentes. Nous voilà sur la nouvelle piste plus tôt que prévu. Un océan de vagues enneigées formant des creux et des bosses allant jusqu’à un mètre de haut ou de profond. Tenir le cap, un pied sur le patin, l’autre sur le tapis (large frein actionné à l’aide du ou des pieds). On passe et je ne sais pas qui des chiens ou de moi s’est le plus amusé. La poudreuse jaillit de sous mon traîneau et nous continuons à avancer. La première zone de marécage s’annonce. La neige qui est tombée tôt dans la saison et de manière soudaine n’a pas offert au sol la possibilité de geler. Les marais se traversent tantôt sur la neige tantôt dans la boue. Confortable à l’arrière du traîneau, j’observe les chiens qui cherchent les meilleurs points d’appuis pour ne pas trop patauger dans la gadoue. Le marais se termine, nous rendant la forêt boréale et son manteau blanc. Les lacs et les gouilles recouverts de glace et de neige dessinent de grandes clairières à la neige immaculée. Le décor défile comme un film en noir et blanc. La bande son se réduisant au son du manteau blanc qui se tasse sous les pattes des chiens et de leurs halètements. Le temps perd sa mesure et il serait facile de se contenter du fait d’être simplement heureux. Mais la réalité est tenace et c’est Fast qui m’en fait prendre conscience. Un regard en arrière et ses yeux me disent « Gi ou Ha ? Mon grand rêveur ! » Ce sera Gi, ou droite dans notre langue. Retour sur une piste fréquentée par les chasseurs. Une piste tassée par leurs passages et donc plus rapide. Mais qui dit tassée ne dit pas droite. Et cette partie du parcours contient un cadeau dont on se passerait bien. Un gros rocher masqué sous la neige, un haut-fond pour handleur. Un virage serré pour éviter un sapin, puis retour sur la gauche, dos d’âne, petit raidillon avec virage en sortie puis, sans que j’en donne l'ordre, Fast mon chien de tête ralentit, contourne une masse blanche puis accélère. Le rocher : un obstacle qui ne les gênait en aucun point. Un obstacle que j’allais percuter de plein fouet. Ils ralentissent pour le « sans-poil » ! Merci, l’attention me touche, me rend même songeur. Elle occupe mes pensées et j’évite de justesse une branche pliant sous le poids de la neige ! Rester concentré. Une petite descente et le point le plus critique du parcours se présente. La piste tracée par les chasseurs file droit à l’Ouest et il me faut prendre plein Nord. M’enfiler sur un petit sentier traversant une forêt de bouleaux relativement dense. C’est sans surprise que je constate que l’attelage ne tourne pas malgré mon ordre. Avançant à vitesse réduite, je m’arrête. J’ai encore une dizaine de mètres pour les faire bifurquer, après les arbres ne me le permettront plus. A deux personnes, il serait facile de corriger le tir. Un handleur sur les freins, l’autre remontant l’attelage et guidant les chiens de tête sur la bonne piste. Sauf que je suis seul. La neige encore trop volatile m’empêche toujours de planter mon ancre.

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Je suis donc sur mon traîneau, dans la mauvaise direction, sans moyen apparent de corriger. Les  chiens ne comprennent toujours pas mon ordre et si je descends de mon traîneau sans l’avoir amarré, je le perds. La deuxième ancre ! J’ai monté une deuxième ancre au bout d’une corde de six mètres. Je m’arme de cette dernière et la lance dans un mouvement circulaire afin qu’elle s’enroule autour d’un arbre qui se situe à six petits mètres de moi. Du premier coup ! L’ancre se bloque, stabilise le traîneau et m’offre la possibilité de remonter mon attelage. L’ancrage est précaire, il me faut faire vite. Je cours, agrippe le harnais de Sid et le tire dans la bonne direction. Il obtempère avec joie et entraîne tout son petit monde dans sa trace. Nous pataugeons dans la poudreuse et je me rends compte que je commence à suffoquer. Les -13°C de ce matin, m’ont imposé une cagoule et un masque de ski qui m’empêchent d’inhaler suffisamment d’air. Je tire la cagoule vers le bas, relève le masque qui s’est embué puis continue à patauger. Par crainte que mon ancre ne me lâche, je m’empresse de rejoindre mon traîneau. La position est bonne, les chiens montrent de l’intérêt à avaler les  de ce nouveau sentier, mon ancre est arrimée à un arbre six mètres derrière moi. Excellente l’idée de l’ancre ! Enfin, jusqu’au moment où il faut aller la décrocher. Pour cela, je dois quitter le traîneau et dans cet état d’excitation les chiens démarreront sans se préoccuper de ma présence. Mais je n’ai pas d’autre choix. De plus, l’arrivée imminente d’Aline ne fera qu’augmenter la complexité de la situation. Je parle aux chiens, les calmes juste ce qu’il faut pour  faire deux fois six mètres de sprint. L’opération réussie, me revoilà sur mon traîneau, essoufflé mais heureux d’avoir simplement réussi. Le froid givre ma moustache et des flocons de neige dans les yeux me signalent qu’il est temps de se ré-équiper correctement.

 

Transpirant à l’intérieur, gelant à l’extérieur, une différence thermique d’environ cinquante degrés. La piste est bonne, formant des courbes agréables à attaquer. Les sapins sont toujours là, la neige, les panneaux à motoneiges et leurs croix de Saint-André. Les sapins sont là, mais ce ne sont pas les miens… Dans l’euphorie d’avoir réussi et le besoin de me remettre de cet effort, j’ai oublié que la piste se séparait à nouveau. Je n’ai simplement pas vu la bifurcation. Je stoppe et recommence le cirque de tout à l’heure. Sauf qu’ici, les arbres sont trop gros pour jouer de l’ancre. La hauteur de la neige enlève toute envie à mes chiens de piquer un sprint. Je peux donc remonter l’attelage, prendre les chiens de tête et leur faire faire un 180° dans plus de soixante centimètres de poudreuse. Je m’étale ! Les chiens qui ont retrouvé la piste démarrent. Heureusement, j’ai gardé un bout de corde dans la main et me voilà traîné derrière mon traîneau, avançant comme le cavalier sans tête. Je crie « Hoooooo » - stop - et… mes deux leaders stoppent net. Je les rejoints et ne sais trop quelle émotion exprimer : la colère ou la gratitude. La gratitude l’emporte. Je rassure l’attelage avec une petite caresse pour chacun et c’est en battant de la queue qu’ils l’accueillent. Ouf, toujours dans la course. Nous remontons la « fausse » piste, retrouvons la bifurcation, mais dix mètres trop tard. Nouveau 180°, mais fait avec un style et une classe première catégorie. Pose de l’ancre, demi-tour, ramassage de l’ancre puis virage sur la droite. Le métier entre. Il ne nous reste plus que deux ponts aux lames suffisamment espacées pour qu’une patte de husky s’engouffre, une série de marécages où j’y laisse presque une boots, puis une grande ligne droite pour rejoindre le véhicule et souffler un peu. Un baptême du feu qui aura, à n’en pas douter, embrasé le plaisir que j’ai à effectuer ce travail. Demain on recommence…

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