L’horizon.
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Parfois nous le chassons.
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Parfois il s’ouvre à nous sans prévenir.
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Mais toujours il nous faut composer avec.
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Hier à Bishkek, aujourd’hui à Vevey, demain en Suède. Pourtant, la partition aurait dû être Bishkek, Les Pamirs, Dushambe, Samarcande.
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La croche, une chute à cheval.
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Une note imprévue qui en un instant a changé la tonalité du morceau.
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Nature et découvertes, le thème de nos vacances familiales. De la nature à foison, toujours aussi belle et envoutante. Des découvertes également, de celles que l’on a plaisir à partager en famille, de celles qui s’inscrivent dans la bibliothèque des souvenirs agréables. Et puis de celles que l’on n’attendait pas.
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Sur les rives du lac Song Köl, joyau de la nature kirghize qui a su préserver son authenticité malgré sa popularité, nous ne pouvions refuser de goûter à la chevauchée sur ces plaines sauvages. Une ballade de courte durée pour Olivier. Son instinct de survie l’a fait sauter de son cheval au grand galop alors qu’il sentait la selle glisser de l’animal tourmenté par la pluie. En une fraction de seconde et après une chute que sa mémoire a sensurée, il se retrouve le dos au sol et les yeux dans les nuages. Après un moment qui m’a paru être une éternité dans cette immensité orageuse et dans le tourment des scenari les plus sombres, Olivier se relève tant bien que mal. La musculature encore chaude lui permet de regagner le campement à pied. Mais après quelques heures la douleur se réveille ; tout mouvement devient alors un véritable calvaire, réduisant son autonomie à néant. Le lendemain nous lèvons le camp. Si la région du lac Song Köl est si belle, c’est en partie parce qu’elle est reculée. Son atout devient pour Olivier une malédiction. Septante kilomètres de pistes où chaque bosse, chaque trou, chaque caillou exacerbe ses douleurs, malgré la conduite précautionnée de notre chauffeur. S’en suivent encore cent cinquante kilomètre d’une piste asphaltée qui n’a rien à envier aux patchworks traditionnels. Olivier sert les dents mais c’est le corps tout entier qui se crispe. Le jour suivant, nous allons consulter. Les douleurs sont importantes, tout comme l’impressionnante distorsion du bassin et du haut du corps. Les douleurs aux côtes sont telles qu’elles nous font craindre une lésion osseuse. Conduits par notre hôte qui connaît les lieux et accompagnés de l’apprentie guide qui nous sert de traductrice, nous allons dans l’hôpital provincial à proximité de notre logement. De quoi découvrir le système sanitaire kirghize. Olivier est tout d’abord pris en charge par un médecin qui palpe son dos sans ménagement. Il prescrit une radiographie. L’appareil se trouvant dans un bâtiment annexe, Olivier s’y rend avec notre apprentie-guide alors que je m’en vais avec notre chauffeur dans celui où se trouve la caisse de l’hôpital. Je m’acquite de la facture relative à la radiographie, soit d’environ deux dollars. Si les prix diffèrent quelques peu de notre réalité helvétique, il en est de même pour les notions de sécurité. Ici, les habits de plomb sont oubliés dans un coin de la pièce. La femme responsable des radiographies inspecte en un temps éclair le résultat et griffonne ses conculsions sur un post-it. Nous obtenons de justesse qu’elle le tamponne afin de le rendre un tant soit peu plus officiel. Retour auprès du premier médecin. Image à l’appui, il affirme que rien n’est cassé. Prescription : anti-douleurs, anti-inflammatoire, repos. Nous tentons tant bien que mal d’obtenir des précisions sur la situation et la posologie de sa prescription, mais le médecin semble pressé et peu inclin à une quelconque indulgence vis à vis des difficultés linguistiques. Ce que nous comprenons, c’est qu’il est temps de le payer. Avant de le faire nous demandons une facture afin de pouvoir ensuite être remboursés par notre assurance. « Pas de facture. » Instant de flou ambiant, de regards qui en disent longs mais que nous hésitons à interpréter, de gestes vifs qui se veulent discrets… puis on nous dit de sortir. Avant que nous puissions éclaircir la situation déjà la porte se referme sur le patient suivant. Nous voilà devant le fait accompli : notre chauffeur s’est acquité de notre dû auprès du médecin. Sans facture ni récépicé. Cela va sans dire que nous le payons en retour et par la même occasion faisons une croix sur tout éventuel remboursement d’une assurance occidentale aux exigences incompatibles avec la réalité d’un système corrompu. Notre traductrice nous explique que c'est le chauffeur qui a demandé à ce que ce soit ce médecin précisemment qui osculte Olivier car c’est un bon professionnel. Et les compétences, ici, ça se paie à coups de bakchichs. Arrêt à la pharmacie pour acheter les médicaments prescrits, dont trois fioles d’anti-douleurs à injecter intramusculairement. Olivier devra subir mon manque d’assurance à manipuler la seringue en plus de la piqure. Des troubles gastro-intestinaux douloureux, secondaires aux médicaments et à la violence du choc de l’accident, viennent compliquer le tableau. En contact avec notre assurance voyage et soucieux de respecter les procédures, nous faisons appel à leur service pour nous indiquer un établissement à la capitale où aller consulter. A ce jour nous sommes toujours dans l’attente de leur réponse…
De retour à Bishkek après encore quelques deux cents cinquantes kilomètres de route, et alors que ma famille reprend la direction de la Suisse, nous prenons l’unique décision possible, celle d’en faire tout autant. Il nous faut néanmoins attendre qu’Olivier se rétablisse suffisamment pour assumer une journée de transport. Installés dans le dortoir d’une guesthouse, nous faisons la connaissance d’une sage-femme allemande, Hannah. Elle se chargera de la dernière piqure, de sa main experte et assurée, et nous aidera à trouver comment combattre les problèmes gastro-intestinaux. Si les solutions d’ordre physique améliorent la situation, le cheminement psychique est tout autant important.Â
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Parallèlement il nous faut organiser notre retour et bien sûr nous occuper de l’empaquetage de nos vélos. Pendant qu’Olivier repose son corps meurtri, je scillonne les rues en quête de cartons. C’est en pièce détachées que nos vélos finissent par entrer dans leur boîte.
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Dans la chaleur de la capitale kirghize, déjà les montagnes des Pamirs s’effacent de nos esprits laissant place aux forêts et aux lacs suédois.
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Nous voilà en Suisse depuis quelques jours et malgré une convalescence qui promet d’être encore longue, notre regard scrute déjà un autre horizon. Une maison au cœur de la nature suédoise, un mode de vie différent de celui que l’horizon helvète nous promet et une envie de partage. Cet horizon, nous le voyons, au loin. Mais comment le rejoindre ? L’inconnu, et cet inéluctable mélange d’excitation et d’appréhension qu’il suscite, est tel qu’à l’aube d’un nouveau voyage. Et si celui-ci ne se fait pas à bicyclette, il promet autant de rencontres, d’imprévus, de découvertes, d’apprentissage, d’émotions et de partages.
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Alors cap au Nord.
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