Il y a des signes qui ne trompent pas, nous ne rajeunissons pas. « Are you a youtuber ? » fut la question qu'un jeune garçon posa à Olivier en voyant sa GoPro. Il y a une dizaine d'années de cela, les mêmes jeunes nous demandaient : « Are you on Facebook ? ». Les générations changent, les centres d'intérêts muent, et les questions évoluent au diapason. Pourtant, la lettre manuscrite, malgré la poussière qui aujourd'hui s'accumule sur la plume et l'encrier des pupitres d'école, sait émouvoir au-delà de l'âge. Mais ça, c'est une autre histoire, qui, sur l'échelle du temps limité à notre voyage, s'inscrira plus tard, dans la région de Hudiksvall...
Une île perdue au milieu de la Baltique, à califourchon sur deux nations…
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Avant cela et plus au sud, notre épopée sur l'île binationale de Märket (voir texte précédent). Une île fino-suédoise qui vogue sur deux fuseaux horaires, où les montres connectées hésitent et nous font perdre la notion d'un temps rectiligne. Une île qui nous rassure quant au fait que malgré nos années de voyage, nos kilomètres parcourus, nous continuons à nous faire surprendre par l'imprévu. Un imprévu qui, de par son originalité, parvient à inventer encore et encore de nouveaux tours, dont nous n'aurions pu soupçonner l'existence. Car si nous pensions arriver sur une île déserte, nous avons en réalité été accueillis par une équipe de passionnés de phares qui nous feront vibrer au son de leurs connaissances, sur les ondes de leur propre marginalité et dans un décor sans pareil. Ou encore sur les hautes fréquences des radio-amateurs qui, précisément lorsque nous y sommes, prennent place sur cette toute petite île unique qui possède son propre indicatif. Alors que nous pensions y passer une nuit, nous y resterons trois, et j'y serais bien restée pour un bout de plus.... Une part de nous y demeurera, jusqu'à ce que le temps use les pigments et efface la marque de notre passage. Après avoir repeint la frontière fino-suédoise, l'unique frontière terrestre entre ces deux pays, nous avons, à la demande de la responsable, laissé notre signature, là où seul un oeil aiguisé en décèlera la présence. Le personnage symbole du logo Chasseurs d'horizon se trouve désormais entre deux roches. Un juste retour pour cette gravure rupestre que nous avions photographiée en Amérique du Sud.
De plumes, d'épiderme et d'écailles…
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Nous avons navigué parmi des dizaines et des dizaines de pingouins. S'il nous aura fallu un peu de temps pour trouver l'identité de ces oiseaux particuliers qui volent en cercle au-dessus de nous, avec une curiosité palpable et un air de maladresse, nous en sommes certains, il s'agit bel et bien de pingouins, les Alca Torda plus précisément, seul pingouin subsistant depuis la disparition du Grand Pingouin. Pourtant, les autochtones sont sceptiques - des pingouins, ici ?? - nous le voyons bien aux regards indulgents de ceux qui se gardent de rompre l'enthousiasme de deux étrangers.  Ou à la remise en question directe de ceux qui ont à coeur de rétablir la vérité. Après réflexion et analyse, nous trouvons la faille ; voilà un malentendu généré par une traduction maladroite, un abus de langage. Car si en français, « petit pingouin » est le nom vernaculaire pour désigner cette espèce d'oiseaux, en anglais, le mot « penguin » désigne ce que les francophones appellent « manchots », habitants de l'hémisphère sud. Alors si l'on concède que nos interlocuteurs entendent que nous nous enthousiasmons d'avoir navigué sous des colonies de manchots, force est d'admettre que leur étonnement est des plus légitimes.
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S'il y a par contre un langage commun, c'est celui de l’effroi face aux serpents. D'autant plus lorsqu'ils se regroupent par dizaines. Toutefois, pour Olivier, ils seront la source d'un émerveillement unique, lui qui, des heures durant, se tiendra immobile auprès d'eux, pour leur devenir familier. Avec fascination et non sans une pointe de surprise, il les a vus se rassembler à l'arrivée de la pluie, surgissant de nulle part, donnant vie à ce que nous avions pris pour des racines de pins. Olivier en dénombrera quinze spécimens. La plupart étant des couleuvres, une pourtant se distingue et se révèle être une vipère. Au-delà de leurs différences, les serpents se côtoient intimement, se chevauchent, entrent et sortent de leurs nids communs, ondulant souplement dans une danse quasi hypnotique. Non loin de cet entretien improvisé avec les reptiles, dans la réserve naturelle de Kråkön-Agön, vit une colonie de phoques gris. Devenus familiers à leur complainte depuis notre rencontre avec la colonie de Märket (voir texte précédent), nous les repérons facilement. Mais cette fois-ci, nous ne pouvons les observer qu'aux jumelles, étant séparés d'eux par une ligne invisible, tracée à la règle sur une carte papier, qui interdit l'accès à leur territoire pour les préserver. Malheureusement, d'autres nuisances que celle de la curiosité des kayakistes ou navigateurs tuent à petit feu ces animaux. « Ils meurent de faim » nous témoigne un vieil homme dans le village de pêcheurs d'Agön. Les bateaux de pêche industrielle ratissent les eaux et épuisent la Baltique, délaissant les phoques devant une assiette vide.
Cuisine plurielle
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Sans transition subtile ni délicatesse, je glisse à nos assiettes, qui elles non plus ne se garnissent pas de poisson mais se voient évoluer au gré des saisons, au fil de la végétation florissante et de notre curiosité inconventionnelle. Mais cuisiner en pleine nature n'est pas si simple et nous ne cessons d'apprendre. Alors évoluant dans les archipels, loin des lieux de réapprovisionnement, nous avons commencé à utiliser l'eau de la Baltique pour cuire nos aliments. Une eau relativement pauvre en sel et de propreté acceptable, elle nous a permis d'augmenter notre durée d'autonomie. Et puis, sur l'île de Märket, nous avons discuté avec un garde côte finlandais, qui nous a mis en garde contre cette pratique, la Baltique pouvant contenir une quantité de cyanobactéries suffisante pour être nuisible si consommée. Autant dire que dès lors, nous avons adapté notre comportement et n'utilisons l'eau marine que pour rincer notre vaisselle. Cuisiner sur un feu de bois ne se fait pas n'importe où, ni n'importe quand d'ailleurs. Soucieux de limiter notre impact environnemental, nous choisissons avec soin l'emplacement de nos foyers. Dans un petit port côtier, nous nous arrêtons devant un panneau informatif. Nous y apprenons que faire un feu sur les grandes pierres plates et lisses des côtes est interdit, celles-ci éclatant sous l'effet de la chaleur. Ainsi nos pratiques se modifient au rythme de l'évolution de nos connaissances. Pour l'heure, nous avons remisé notre réchaud à bois tout comme notre fer à croque-monsieur, les feux en nature étant interdits en raison de la sécheresse. / AG
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