Nos journées de kayaks monopolisent notre temps et notre énergie et ce n'est que parce que nous avons opté pour une journée off que je peux à nouveau prendre la plume. Une pause dictée cette fois-ci par des soucis administratifs à résoudre et encouragée par une météo pluvieuse.
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Altreu me paraît déjà si loin... Depuis nous avons quitté l'Aar, dont les rives furent un réel théâtre à ciel ouvert pour qui apprécie le spectacle de la vie ornithologique. En cette période de reproduction, nous assistons, en première loge depuis nos kayaks, aux parades amoureuses des grèbes huppés, à la confection par les foulques de leurs nids de roseaux, aux vols vrombissants des cygnes...
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De Wynau à Brugg, nous voyageons à nouveau en compagnie de Tim et Matthieu (Paju), cette fois-ci accompagnés de Sarah et Laurent et de leurs bateaux. Un épisode aux allures gastronomiques inattendues, où rissoles, rosbeef, salade de pomme de terre et gâteaux sortent du sac de Sarah comme le parapluie ou l'abajour de celui de Mary Poppins.
Mais c'est en solo que nous franchissons le cap significatif du passage de l'Aar au Rhin et c'est au son des fifres et tambours que nous traversons avec émotion Bâle. Jusqu'à présent, le trafic des péniches est confortable, pour ne pas dire distrayant ; nous nous amusons des vagues laissées derrières elles et faisons chanter le nom de celles qui nous inspirent. Jusqu'à présent, les capitaines ont un comportement respectueux de nos vulnérables embarcations, tout comme nous restons vigilants à ne pas les gêner dans leur trajectoire. C'est avec un regard envieux que nous les observons s'enfiler dans les écluses, qui, depuis Bâle, nous sont refusées. Plus de trois heures d'effort nous attendent à chaque barrage, contre quelques minutes d'éculsage pour les bâteaux à moteur. Car oui, la distinction est là  : moteur ou absence de moteur. Si les employés de la compagnie hydroélectrique EDF respectent avec rigueur le règlement, c'est avec désolation – ou pitié - qu'ils nous regardent. Se sentant un peu coupable, l'un d'entre eux m'offre neuf litres d'eau. Et non, ce geste n'avait rien de cruel, même si ces 9 litres, il a fallu les porter...
Aujourd'hui nous avons passé six barrages ; il nous en reste quatre. Ici le chiffre est important, il s'agirait de ne pas se méprendre sur le décompte. Car la musique, que nous connaissons maintenant par coeur, devient répétitive et nous avons hâte d'entonner des mélodies plus légères. Comme les notes sur une partition, nos gestes sont orchestrés : repérer l'opportunité de sortir du canal le plus proche possible du barrage, amarrer le kayak d'Olivier, vider mon kayak de tous ses bagages, porter mon kayak sur la terre ferme, vider le kayak d'Olivier, porter le kayak sur terre. Enlever nos combinaisons étanches et mettre nos baskets, observer l'environnement et les accès possibles pour rejoindre le fleuve au-delà du barrage, définir l'option la plus efficiente. Porter les bagages et les kayaks d'un poids total de 140kg sur une portion de cet itinéraire qui nous permette de garder un oeil sur l'ensemble de nos biens et cela en 9 trajets chacun. Réitérer la procédure pour une 2ème, 3ème, 4ème...portion jusqu'à atteindre l'accès de remise à l'eau. Une distance de 800 mètres se transforme alors en un portage de 7,2km. Remettre nos combinaisons étanches, jupes et gilets. Descendre mon kayak et le mettre à l'eau, le charger et l'amarrer. Descendre le kayak d'Olivier et le charger. Libérer mon kayak puis... reprendre la route.
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En parlant de reprendre la route... force est de constater qu'il nous manque encore un vocabulaire de circonstance. Si nous ne pouvons reprendre la route, nous ne pouvons encore prendre la mer. Que pouvons-nous donc reprendre, si ce n'est notre questionnement... Au-delà du vocabulaire, il nous a fallu apprendre un nouveau langage, celui des panneaux de signalisation fluviale. Panneaux qui pour les principaux font déjà partie de notre environnement visuel familier.
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Si nos corps se sont adaptés à la nouvelle activité quotidienne qu'est le kayak avec un certain brio, ils ont su nous remettre à l'ordre, nous et notre empressement. Nous leurs avons imposé une réalité de voyage propre à ceux qui ont quitté le confort sédentaire depuis bien des kilomètres alors que nos corps étaient à peine extraits d'un environnement fait de confort et d'hygiène. Consommer l'eau de l'Aar ne fut peut-être pas des plus judicieux pour un organisme encore rôdé à l'eau filtrée. Clémence et bienveillance envers nos organismes sont nécessaires car ils n'ont pas évolué au même rythme que nos esprits qui eux, naviguent vers des contrées lointaines depuis des mois déjà ... Car oui, en ce début de voyage, il y a une certaine dysharmonie entre nos acquis forgés lors des précédents voyages, la réelle nouveauté amenée par notre mode de déplacement actuel et nos corps.
Et comme pour tout début, il y a la série des « premières fois », lesquelles bientôt prendront des allures de routine, comme les premiers achats au magasin. Chevauchant la frontière helvético-allemande, nous apercevons une enseigne Aldi du côté allemand ; l'occasion est trop belle pour la laisser filer car les commerces poussent au bord de l'eau comme les fougères dans le Sahara. Nous accostons à un ponton en bois et en tenue de kayakiste je me faufile au-delà des roseaux jusqu'au supermarché, après avoir pris soin tant bien que mal de vider l'eau accumulée dans les replis de ma combinaison et d'ôter les paquets de boue de mes chaussures. Je déambule ainsi nonchalamment entre les rayons, affublée d'un masque de surcroît, jusqu'à m'apercevoir que je laisse derrière moi de grosses flaques brunâtres. Autant dire que j'ai quelque peu précipité mes achats pour retourner dans l'environnement où mon apparat reprend de sa superbe.
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Jusqu'à aujourd'hui nous avons pu faire nos premières armes sous les hospices de Râ ; la pluie et le froid nous contraindront à adopter de nouvelles stratégies, nous le savons. La percussion des gouttes de pluie sur notre tente protectrice nous rappelle aujourd'hui cette réalité.
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