Comme prévu, il nous a fallu composer avec une météo plus humide que les premières semaines de voyage. Nous n'avions par contre pas imaginé devoir s'adapter à des conditions aux allures hivernales. Tout de même, -5°C., de la neige et de la grêle, ce n'est pas normal pour la saison... Voilà bien une phrase qui revient sans cesse durant nos voyages, quelle que soit la latitude. Ce n'est pas normal pour la saison...
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Nous avons donc dû trouver de nouvelles stratégies organisationnelles. Comment mettre et enlever la combinaison étanche sous la tente lorsqu'il pleut ? Comment éviter d'amener de l'humidité supplémentaire à l'intérieur de la tente ? Comment ne pas exposer les bagages sensibles à la pluie lorsqu'il faut les charger, décharger, transporter et recharger lors des portages aux écluses ?
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Certaines affaires comme les gilets ou notre réserve de livres sont alors stockées dans nos kayaks la nuit afin de nous offrir plus de place dans la tente et les hiloires de nos kayaks sont « jupées » afin d'éviter qu'elles ne se remplissent d'eau. Nous prévoyons des repas froids pour s'éviter la tâche de la cuisine sous la pluie. Nous avons sorti nos manchons de pagaie pour offrir quelques degrés supplémentaires à nos mains mises à mal par le froid et les gants congelés et j'ajoute des sous-vêtements thermiques sous ma combinaison étanche. Et puis nous avons réduit nos objectifs quotidiens à une seule écluse (et donc portage) par jour. Une fois l'objectif atteint, nous nous réfugions sous la tente, laquelle nous offre la possibilité de nous réchauffer au sec. Ceci à l'exception du pied droit d'Olivier, lequel souffre de manière préoccupante du froid et d'un probable frottement lors du pagayage. Cela nous donne matière à réflexion, surtout lorsque le petit orteil prend des couleurs violacées...
Mais c'est lors de ces journées où le courage est recruté dès le réveil, où la volonté est nécessaire rien que pour envisager sortir du sac de couchage, où le vent de face nous malmène au point de se résoudre à monter le campement 2 km plus loin que la veille, que les plus belles fleurs peuvent éclore. Oliver, un Allemand qui nous voit littéralement ramer sur le fleuve, nous propose son aide pour sortir nos kayaks des eaux déchaînées. Plus tard, après nous être réfugiés dans notre tente, à l'abri du vent et de la neige, un bruit de moteur se fait entendre à proximité. Laissant mes rêveries vagabonder à voix haute je m'exclame en plaisantant : « tiens, voilà le service traiteur ». Et voilà Oliver qui revient à nous, un panier picnic au bras. « Olivier ? » appelle-t-il « je vous ai amené du café, des oeufs durs et de la tarte aux pommes »... Il sort 3 tasses en céramique de son panier, y verse du café, ajoute un nuage de lait dans celui d'Olivier et nous sert de splendides parts d'un gâteau pâtissé par son épouse. Après un moment de partage, Oliver s'en va. En début de soirée, un nouveau bruit de moteur. Et là , c'est à Olivier de plaisanter : « c'est le souper qui arrive ». Et oui... Oliver revient avec Claudia, son épouse, qui nous tend des muffins au fromage à peine sortis du four, des bananes, des oeufs, du chocolat et... une bouteille de rouge. Nous restons sans voix, ou du moins nous en reste-t-il juste de quoi leur exprimer notre gratitude. Plus tard, par message, ils nous avoueront avoir souhaité nous inviter chez eux, mais ne pas avoir de quoi y acheminer nos kayaks. « La prochaine fois que vous venez dans la région, avertissez-nous que l'on puisse organiser une remorque ! ».
Voyager en kayak influence inévitablement les interactions avec les autochtones et autres voyageurs. Si nous en avions conscience théoriquement avant de partir, nous en faisons le constat effectif. Nous avons bien croisé quelques autres kayakistes, des habitants de la région sortis à la journée, mais discuter sur une eau en mouvance, lorsque les uns sont portés par le courant et les autres luttent pour aller de l'avant, n'est pas chose aisée et réduit considérablement la durée des échanges. Et puis si nous rencontrons des personnes aux intentions généreuses telles que Oliver et Claudia, ou tel qu'Elias, un Français qui me prend en stop pour aller faire mes courses et nous invite chez lui, rares sont ceux qui ont leur domicile accessible à notre convoi.
Iffezheim sonne comme la fin des portages. Les trois dernières écluses nous ont réservé quelques surprises, alors que nous pensions reprendre le refrain des 7 premières. N° 8 : aucun escalier pour sortir du fleuve contenu entre des parois de béton pentues et glissantes. Olivier redouble de maîtrise et d'ingéniosité pour sortir nos kayaks de l'eau grâce à un système de rappel, équipé d'une corde et profitant d'un point d'ancrage de fortune. N°9 : rebelote, nous revoilà bloqués sans issue ; Olivier confirme l'efficacité de son système en rappel. Sauf que cette fois-ci, il revient de son tour de prospection des environs en me disant : « Remets ta combi Aline, ils vont nous écluser »... de quoi me laisser en équilibre entre la réjouissance de ne pas avoir à porter notre lourd barda et la perplexité face au fait qu'il nous faut remettre toutes nos affaires à l'eau dans ce contexte acrobatique. N°10 : une centaine de mètres avant l'écluse, un petit panneau illustrant un bateau à rames indique qu'il nous faut sortir de l'eau. En contre-bas du canal, une petite rivière nous attend, laquelle contourne l'écluse, tout en douceur et sans effort.
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Devant nous se tiennent l'Allemagne et un Rhin libéré de toute écluse. Du moins nous l'a-t-on promis.
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