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Esquisses chinoises

29-03-2018 15:26

Aline Guignard

Terres sauvages,

Esquisses chinoises

Combien de fois nous sommes-nous exclamés "Ah ces Chinois !" face à des situations inattendues, rocambolesques ou incompréhensibles...

Combien de fois nous sommes-nous exclamés "Ah ces Chinois !" face à des situations inattendues, rocambolesques ou incompréhensibles. Et je me demande face à quelles situations un Chinois s'écrie-t-il "Ah ces Européens!" lorsqu'il découvre nos contrées. Quels sont les tableaux qui ont la valeur des instants que l'on garde dans ses bagages... Voici quelques esquisses qui pour moi la recèlent. 

Quels sont les tableaux qui ont la valeur des instants que l'on garde dans ses bagages...

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Après huit heures de route dans le car qui nous rapproche de Chengdu, le chauffeur s'arrête vers une cantine pour permettre à ceux qui le souhaitent de se restaurer. J'en profite pour aller me soulager. Je longe un mur en direction de ce qui me semble être des WC. Tout au bout du couloir, deux entrées. Et peints à même le mur, deux caractères chinois. J'en déduis leur signification, mais lequel me concerne... je ne m'en souviens plus. Émanant de l'un des côtés, j'entends un raclage de gorge puissant et une expectoration qui ne l'est pas moins. Ha, digne d'un comportement masculin ! Alors que je m'apprête à entrer du côté opposé, une femme ayant le même dessein que moi corrige mon analyse. J'entre alors chez les femmes et vois une toute vieille dame, penchée en avant et tenant à peine sur ses jambes, reproduire ce qui m'avait induite en erreur. Les toilettes sont en réalité une longue tranchée creusée dans le sol et sectionnée par de petits murs. Autant dire que la hauteur de ces parois et l'absence de porte rendent la notion d'espace privé tout à fait symbolique et celle d'intimité caduque. Je fais mes besoins par-dessus ceux de mes prédécesseures. Ici, aller aux toilettes est un acte uniquement fonctionnel qui n'invite guère à ne serait-ce qu'un soupçon d'envie de détente.

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À Chengdu, nous avons la chance d'être hébergés par Senlin, qui nous emmène au restaurant pour nous faire découvrir la cuisine locale. Le deuxième soir, sa colocataire, une jeune femme raffinée, nous accompagne. Sa tenue élégante nous fait prendre conscience à quel point notre menue garde-robe est très peu citadine. Senlin commande un réel festin; sur la table se dressent l'un après l'autre une dizaine de plats. Notre hôte remarque "Cela fait beaucoup de nourriture. Peut-être devrons-nous demander un doggy-bag.", pratique courante nous explique-t-il. Il y a là des œufs de 100 ans, du tofu à la mode suchuanaise, des filets de poisson frais... Quel n'est pas notre étonnement lorsque la coquette demoiselle recrache énergiquement les arrêtes  de poisson sur la table, en prenant soin de tenir ses cheveux en arrière pour qu'ils ne se trouvent pas sur leur trajectoire! Senlin fait de même. Pour ma part, je ne peux m'y résoudre et utilise mes doigts pour transporter les os de ma bouche à la table. En fin de repas, Senlin se lève et nous invite à en faire de même. "Tu ne prends pas le reste de nourriture ?" lui demandais-je, étonnée. "Mais il ne reste plus rien." répond-il. Je lui demande donc si je peux embarquer ce rien qui me semble beaucoup. Senlin fait signe à l'une des serveuses de nous amener un récipient dans lequel je m'applique à récolter ce que je visualise déjà être un merveilleux pic-nic. Autant dire que toutes les paires d'yeux du restaurant n'ont qu'une cible : moi. Concentrée sur ma tâche, Olivier est plus à même d'observer les réactions, allant du sourire surpris au regard hagard trahissant la totale incompréhension. Une chose est sûre, nous aurons laissé en ce lieu une trace de notre passage.

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Vieille ville de Dujiangyan. Les maisons en bois sculpté me transportent dans une époque lointaine pourtant bien réelle. À l'ombre des saules pleureurs, dont la tendresse des verts témoigne de la saison printanière, se sont réunis les aînés du quartier. Assis sur des bancs taillés dans la pierre, ils abattent les cartes sur des tables assorties. Casquettes bouffantes et costumes bleu-mat parlent eux aussi d'une époque peut-être moins révolue que ce que nous pourrions imaginer. Un vieil homme s'approche des joueurs. Avant de s'installer, il accroche avec soin, à la branche de l'un des arbres, la cage qu'il transporte. Le chant de son oiseau vient ainsi se joindre à l'unisson à la musique ambiante. Car oui, l'Empereur n'est pas le seul à vouloir posséder son Rossignol. Ainsi suspendus aux arbres comme des lanternes, les oiseaux profitent de ce que leurs maîtres se divertissent pour apprécier cet air que la cage a rendu si précieux. Chant d'allégresse ou complainte, ils complètent un tableau qui bouleverse le temps et me sublime. 

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