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Deux vagabonds à Klintehamn

24-03-2023 12:14

Aline Guignard

Cap Kayak,

Deux vagabonds à Klintehamn

Pourrions-nous être contre une aventure inédite ? Nous prenons donc le ferry pour Oskarshamn, sans savoir où se situe la voiture, ni si le délinquant...

Le sauna est mon unité de mesure du temps qui nous sépare du départ. A ce jour, il nous en reste deux. Pour comprendre cette notion, il est nécessaire de revenir quelques temps en arrière, là où se terminait le précédent récit. Lorsque Joëlle et Estelle nous ont rendu visite, à cheval entre 2022 et 2023, nous avons découvert que le club nautique de Klintehamn possédait un sauna, situé au bord de la mer, ouvert au public tous les vendredis soirs pour une modique somme de CHF 5. Depuis, nous avons pris l'habitude de nous y rendre, attendant avec impatience l'arrivée du vendredi suivant. Dans le port de ce village insulaire, nous avons découvert une pratique quelque peu différente du sauna de celle que nous connaissions jusqu'à présent. La première surprise fut que tout le monde porte un costume de bain, alors que nous pensions les Nordiques attachés à la nudité dans ce genre de lieu. Le deuxième étonnement a été de constater qu'il s'agit certes d'un lieu de détente, mais également d'un lieu social, où les gens discutent, questionnent, échangent, rigolent, bien loin de toute attache au silence qui pour moi rimait avec sauna. Dans cette promiscuité règne une atmosphère conviviale et chaleureuse. Et nous y avons pris goût. Les habitués nous deviennent familiers. Il y a ceux qui convoitent les places les plus élevées, il y a ceux qui aiment verser des louches d'eau sur les pierres brûlantes, ceux qui sautent d'un coup dans la mer glacée et ceux qui frissonnent rien qu’à l’idée d'y plonger un orteil. Il y a ceux qui apprécient se reposer dans la pièce attenante entre deux sessions de sudation et ceux qui en profitent pour boire une bière. Nous, nous faisons partie de ceux qui aiment côtoyer les températures élevées tout comme le froid saisissant de la mer. Et nous comptons parmi ceux qui ont de la peine à quitter les lieux...

 

Il nous reste donc deux vendredis avant le retour à notre vie de nomades au fil de l'eau...

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Les kayaks sont prêts. Début mars, nous les avons entreposés dans l'un des magasins de seconde main de l'association pour laquelle nous travaillons, afin qu'ils bénéficient d'une température adaptée aux produits de réparation. La principale opération fut de recoller les sièges de nos deux kayaks. Une tâche qui a exigé de la part d'Olivier réflexion, recherche, concentration et habileté. Il a fallu également remplacer une cordelette de pilotage de mon gouvernail, étanchéifier l'un des caissons et réparer les éclats sur la coque du kayak d'Olivier. Au milieu des meubles d'occasion, Olivier les a pris en main, en main de maître, et après y avoir patienté le temps nécessaire, nos deux embarcations ont retrouvé les températures externes flirtant encore bien souvent avec le négatif. 

 

Nos activités à Klintehamn se sont poursuivies sur le même dynamisme que l'année précédente, sans routine et avec de jolies surprises, étant ouverts à changer de casquette à la demande. Qui aurait pu imaginer qu'un jour, nous soyons amenés à partir à la recherche d'une voiture volée ? Voilà qu'un jour, Agne, notre voisin et propriétaire d’un garage et entreprise de location de véhicules, nous informe que la police a retrouvé l'une de ses voitures sur le continent. Ne pouvant faire le voyage lui-même, il s’enquière de savoir si le job nous intéresse. Pourrions-nous être contre une aventure inédite ? Nous prenons donc le ferry pour Oskarshamn, sans savoir exactement où se situe la voiture, ni si le délinquant ne l'a pas entre temps réquisitionnée à nouveau. La nuit suivante, nous rentrons au volant de ladite voiture (voir texte Vol, enquête et bibliothèque). Lors du trajet de retour sur le ferry, j'entends Olivier interpeller l'un des membres de l'équipage : « Eh mais salut ! Comment vas-tu ? » Alors oui, il y a des signes qui ne trompent pas : nous sommes ici depuis un laps de temps significatif, suffisamment long pour faire maintenant partie d'un réseau.   

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Nous poursuivons également nos différentes activités au sein de l’association Children of Santo Nino. Nous avons été mandatés pour déménager des meubles, trier les nombreux cartons d’objets donnés à l’association, travailler sur l’optimisation des magasins, évacuer quantité d’invendables à la déchetterie... Nous avons aussi eu l’occasion d’aller sélectionner dans la villa d’un vieil homme décédé les objets revendables dans les magasins de secondes mains et de vider un appartement laissé par un jeune homme. Pour moi, travailler avec des objets de seconde main, tout comme vider un lieu de vie, n’est pas anodin, car ils me plongent sensiblement dans la vie antérieure de leur propriétaire et m’ouvre une fenêtre, certes succincte mais néanmoins tangible, sur l’imperceptible. Olivier s'est également attelé à la mise à jour du matériel de communication de l'association : création d'un site internet et d'un flyer de présentation, amélioration du logo et de l'affichage des magasins... C'est avec étonnement et admiration que les compétences acquises par Olivier lors de ses précédentes créations ont été accueillies par les membres de l'association et mises à leur profit. Le temps de notre séjour, nous avons intégré les séances mensuelles du comité. Même si nous ne comprenions pas toutes les discussions ni leurs tenants et aboutissants, nous avons pu faire part de nos idées de développement. Lors de notre dernière participation, les membres nous ont fait la surprise d’un émouvant gâteau décoré à notre intention ainsi que d’un fer à croque-monsieur pour nos futures soirées de bivouac, témoins du rôle apprécié que nous avons eu au sein du groupe.

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Afin de promouvoir notre projet sur l’île et notre collecte de fonds pour Zoé4life, nous avons contacté les médias. Radio et presse ont répondu présents. Si la rencontre avec le journaliste de la presse écrite s’est déroulée de manière ordinaire, celle avec la presse orale fut quelque peu rock’n’roll. Contactés le matin même par une journaliste de la radio régionale P4 Gotland, nous avons convenu d’une interview en direct l’après-midi. Il était prévu que nous prenions au préalable un temps pour évoquer ensemble les questions et éléments de notre parcours pertinents à partager durant les quelques minutes d’antenne. Mais c’est une voiture arrivant en trombe et une journaliste jonglant tant bien que mal entre ordinateur, bloc-notes et micro, le casque sur les oreilles et en discussion animée avec la régie, que j’accueille. Après des présentations expédiées, nous courrons jusqu’à la stuga où se trouve Olivier, car l’antenne est à nous dans la seconde qui suit. A peine installés, nous répondons aux questions de la journaliste. Après quatre minutes d’antenne, un morceau de musique est diffusé. Pensant qu’il s’agissait là d’un interlude, nous restons tous sans voix et quelque peu frustrés lorsque nous constatons qu’en réalité l’interview est terminé ! Se confondant en excuses, la journaliste et son assistante repartent, des questions plein la tête et une curiosité aiguisée en prime.   

 

Bien loin d'avoir oublié notre pays de naissance, nous avons initié nos hôtes Kenneth et Wilma ainsi que quelques amis, Agne, Gunilla, Badeth et Daniel, à la fondue au fromage. Un plat que la plupart n'avait jamais testé. Il a fallu tout d'abord trouver le matériel. C'est finalement une plaque électrique qui nous a servi de réchaud et une grande casserole en fonte a fait office de caquelon. Si cela s'éloigne quelque peu de la bienséance, nous avions néanmoins l'essentiel : de la fondue moitié-moitié venue de Suisse, du vin blanc vaudois et du kirsch. Mais l'appréciation du met n'était pas gagnée d'avance. La première grande erreur de certains a été de combler le petit creux d'avant le repas par un apéro trop costaud. Et puis, une fois autour de la table, j'ai de justesse évité que les premiers ne plongent leur tranche de pain entière dans le caquelon. Décidément, ce qui nous paraît naturel est bien souvent culturellement acquis... Wilma et sa soeur Badeth ont rapidement avoué que ce met n'était pas à leur goût. Les autres ont dit apprécier... Ce qui est sûr, c’est que la bonne humeur, elle, était bel et bien présente.

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Revenir en ferry sur le continent a un coût et nécessite une certaine organisation. Nous avons pu trouver avec Agne un arrangement similaire à celui pour notre arrivée sur l’île. Agne a légalement deux semaines pour mettre les pneus d'été sur les véhicules de tout son parc automobile ainsi que sur ceux de ses clients, ce qui représente quelques 300 véhicules. Sur ces deux semaines agendées par l'état, plusieurs jours sont fériés, ce qui met Agne dans une situation compliquée. L'aide d'Olivier est donc la bienvenue, d'autant plus dans cette équipe de garagistes aux dos rompus, plus proches de la retraite que de la force de l'âge. En contrepartie de cette aide, Agne nous prête une voiture sur laquelle charger les kayaks et prend en charge les frais inhérents au transfert sur le continent. Je pense ne pas me tromper lorsque je m'enthousiasme de cette situation, au coeur de laquelle se trouve un réel échange et où chacun s’y trouve gagnant.

 

A la perspective de ce prochain départ, les sentiments sont pour ma part entremêlés. Excitation de reprendre notre vie itinérante faite d’inconnu. Réjouissance de renouer plus étroitement avec la Nature. Et puis tristesse aussi de laisser derrière nous cette portion de vie sédentaire et les personnes avec qui nous avons noué des liens. Je me vois finalement pareille qu’à la veille d’une nouvelle aventure. Avec cette imperceptible intensité qui incarne actes et relations dans les derniers jours, émanant de cette réalité indéfectible mais bien souvent oubliée, celle que le temps pour en jouir est limité. / AG

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